Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Le fantôme

Le fantôme

 

Lorsque je serai morte, et que, seul sur la terre,

Tu t'en iras rêvant aux jours ensevelis,

Ne crois pas, bien-aimé, que la nuit solitaire

Pourra longtemps leurrer mon coeur de ses oublis.

 

Quand la lune, le soir, mettra sa lueur blanche

Sur le gazon moelleux où s'endorment les fleurs,

Quand l'ombre des cyprès qui, pensive, se penche

Mettra sur les tombeaux de lugubres pâleurs,

 

Soudain hors du cercueil je m'en irai légère,

Je passerai frôlant le gazon argenté,

Sans troubler les oiseaux dans leurs nids de fougère,

Sans faire tressaillir la calme nuit d'été.

 

A travers la forêt au silencieux dôme,

A travers la vallée aux recoins ténébreux

Je glisserai, mes pieds vaporeux de fantôme

Laissant une traînée étrange derrière eux.

 

Près de ta couche enfin, sous la veilleuse pâle,

Je m'arrêterai, spectre indécis et blafard,

Et les mots dans ma bouche auront un bruit de râle,

Je te contemplerai de mes yeux sans regard,

 

Et je t'enlacerai de mes bras sans étreinte,

Et je te baiserai longuement et sans bruit,

Et je prolongerai l'extase horrible et sainte

Jusqu'à ce que le jour me rappelle à la nuit.

 

Alors dans le chemin qui monte au cimetière

L'on me verra passer, lente et comme à regret,

Pour reprendre là-bas mon sommeil sous la pierre,

Pour garder du linceul l'immuable secret.

 

Et le soleil joyeux envahira ta porte;

Mais avant de sourire au monde clair et beau

Tu te diras tout bas: "J'ai rêvé de la morte

Et j'irai déposer des fleurs sur son tombeau."

 

Chants d'Aurore, 1886.



08/10/2012
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