Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Une douce philosophie

Une douce philosophie

 

Nous avions, ce soir-là, causé philosophie -

C'est un sujet fatal et dont je me méfie

Puisqu'il fit à mon front monter une rougeur,

Parce qu'il me rend grave et qu'il vous rend songeur;

Tandis que vous parliez de la douleur intense

Que tout homme connaît en sondant l'existence,

Tandis que vous parliez du monde et du destin,

Du bonheur entrevu mais toujours si lointain

Que, mirage peut-être, on ne sait s'il existe:

J'agitais en mon coeur une chose moins triste,

Je me disais que, moi, je n'aurais pas besoin,

Pour trouver le bonheur, de le chercher bien loin;

Je n'aurais qu'à poser mes deux mains sur les vôtres;

Ce rêve me ferait oublier tous les autres

Qui ne peuvent, hélas! s'accomplir ici-bas.

Moi, pour aimer la vie, il ne me faudrait pas

De consolation plus charmante et meilleure

Que vos doigts fins posés sur mon front quand je pleure,

Et vos yeux chers plongés dans mes yeux quand je ris.

Je ne désirerais, je n'ai jamais compris

Qu'un seul bonheur, et c'est celui de vous entendre

Me parler doucement avec votre voix tendre;

C'est tout ce que mon coeur demanderait au sort;

Que me ferait le reste, et que serait la mort?

L'oubli même viendrait de sa lente morsure

Me prendre à votre coeur, du moins si j'étais sûre

Qu'une larme de vous baiserait mon tombeau,

L'avenir me serait ineffablement beau!

Croyez-moi, ne causons jamais philosophie -

C'est un sujet fatal et dont je me méfie

Et qui me fait au front monter une rougeur,

Parce qu'il me rend grave et qu'il vous rend songeur.

 

Chants d'Aurore, 1886



27/09/2012
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