Insomnie
Insomnie
Ce problème épuisant qui tourmente mes veilles,
N'y pourrai-je échapper! l'amour n'est pas encor
Venu me chuchoter sa berceuse à l'oreille
Et le chariot roule au ciel ses rayons d'or.
O dormir! il n'est pas de baume qui te vaille,
Dieu furtif et léger chassé par le matin,
Sommeil, trève bénie à la grande bataille
Que tout homme livre au destin!
Tu consoles du jour; la plus triste paupière
Cède à ton doux baiser preque immatériel,
Et quand jacob posa son front sur une pierre,
Ce fut pour y rêver du ciel!
Nous poètes, le doute enfièvre notre couche,
Nous ne connaissons pas de songes apaisants
Sans entendre aussitôt monter sa voix farouche
Comme le bruit que fait la mer sur les brisants.
Notre âme se débat sous sa dent vipérine
Et s'épuise en douleurs comme une Niobé.
Le feu que l'inconnu nous met dans la poitrine,
Nous brûle comme si nous l'avions dérobé.
Comme un coursier, devant une haute barrière,
A besoin pour sauter d'un immense recul,
Nous voulons remonter vers la cause en arrière
Pour franchir le mur noir; inutile calcul!
Dieu jaloux, tu sais bien dans quel duel austère
Nous nous sommes haussés d'un effort surhumain
Pour t'atteindre, géant, toi que nul sur la terre
Ne peut être de taille à toucher de la main.
Pourtant sans nous laisser abattre ni confondre,
Maître de l'univers, nous nous tournons vers toi;
Mais tu restes toujours dédaigneux de répondre.
Nous crions vainement dans un élan de foi:
"Descends comme Jésus, et que l'aveugle attrape
Un pan de ton manteau, guéris sa cécité;
Eveille, éveille-toi, roule ta foudre, frappe,
Mais qu'il sache du moins que tu l'as écouté!"
Tu ne réponds rien; mais quand le poète pleure,
Un ange fait germer ses larmes dans les cieux;
Nous te prions encoe, et nous attendons l'heure
Où tu te lasseras d'être silencieux.
Chants d'Aurore, 1886