L'acacia rose
L'acacia rose
C'était un petit banc sous l'acacia rose,
On entendait des cris d'oisillons querelleurs
Et des bourdonnements d'abeilles sur les fleurs,
Et le soleil, tout fier de son apothéose,
Posait sur l'univers ses vibrantes couleurs.
C'était un petit banc sous l'acacia rose.
Dis, pourrons-nous jamais aimer comme là-bas?
Avec cette senteur si grisante et si fine,
Avec ce ciel plus clair que les yeux d'une ondine,
Avec toutes ces voix que nous n'écoutions pas,
Mais qui berçaient si bien notre amour en sourdine.
Dis, pourrons-nous jamais aimer comme là-bas?
Je donnerais beaucoup pour le revoir en rêve
Ce petit coin charmant, où nous avons appris
Tout ce que la jeunesse et l'amour iont de prix.
Notre première étape au voyage sans trêve,
Notre premier séjour au premier paradis!
Je donnerais beaucoup pour le revoir en rêve.
Lorsque le soir faisait le grand jardin brumeux,
T'n souviens-tu des doux propos sous la feuillée,
De la branche flexible et qui, toute mouillée,
Avait en se baissant emperlé tes cheveux,
Et de l'immense joie en mon coeur éveillée
Lorsque le soir rendait le grand jardin brumeux?
Ombragez mon tombeau d'un acacia rose -
Si son parfum subtil arrivait jusqu'à moi,
Je dormirais bien mieux, sans douleur, sans effroi;
Car, même dans la nuit de la tombe morose,
Mon coeur s'échaufferait d'un souvenir de toi.
Ombragez mon tombeau d'un acacia rose.
Et faites-y pleuvoir des fleurs d'acia;
Si le vent n'est pas fort, secouez bien de l'arbre
Leurs timides rougeurs sur la blancheur du marbre,
Sous la terre étoilé mon coeur s'apaisera,
Oh! faites-y pleuvoir des fleurs d'acacia.
Chants d'aurore, 1886.