La mort du brave
La mort du brave
Il est mort comme on meurt sur un champ de bataille,
Le visage tourné vers l'ennemi! Vainqueur,
Il s'endormit au bruit lointain de la mitraille,
Il s'endormit avec l'étendard sur son coeur!
Ses yeux se sont fermés sur un rêve de gloire;
Le drapeau qui l'étreint dans ses généreux plis
Semble répandre encore une aube de victoire
Sur ce front radieux que la mort a surpris.
Pas d'amour pour veiller sur l'agonie amère,
Et pas d'accents chéris pour lui faire un rempart
Contre les visions de la mort; pas de mère
Pour clore doucement ses yeux au fier regard.
Hélas! l'âpre ouragan viendra seul sur sa bouche
Baiser son fier sourire, et le canon grondant
Bercera son sommeil comme un veilleur farouche
Sur ce sol rouge et tiède encor d'un sang ardent.
Le soir, quand éclôront les étoiles pieuses,
Leurs lueurs iront errer avec de longs frissons
Sur toi, pâle endormi; les fanfares joyeuses
Ne t'éveilleront plus par la voix des clairons.
Mais bénis soient les flancs qui t'ont porté: tes armes
Rayonnent près de toi; tu dors superbe et seul,
Digne du saint amour de la patrie en larmes,
Dont tu pris le drapeau pour t'en faire un linceul.
Il est mort comme on meurt sur un champ de bataille,
Le visage tourné vers l'ennemi; vainqueur,
Il s'endormit au bruit lointain de la mitraille,
Il s'endormit avec l'étendard sur son coeur.
Chant d'aurore, 1886