Sur une clef du XVIIIème siècle
Sur une clef du XVIIIème siècle
(Musée de Cluny)
La clef, quoique petite, a plus d'un ornement,
Plus d'un Cupidon rose enlace follement
Son chapiteau doré qu'une chimère baise;
Elle devait servir au temps de Louis Seize
A fermer le boudoir du joyeux Trianon,
On pourrait la porter comme un bijou mignon.
Dieu sait quelle beauté mutine et vaporeuse,
Quelle marquise ardente et volage amoureuse,
Avec son frais minois et son regard moqueur,
La gardait sur son sein à côté de son coeur,
Et dans les menuets dansés sur la pelouse,
Dieu sait de quel regard sa grâce était jalouse!
O confident discret des rendez-vous charmants,
Ne te souviens-tu plus quels joyeux tremblements
Agitaient maintes fois ses mains blanches et pures
Lorsqu'elles caressaient tes fines découpures?
Car elle était rieuse et grave tour à tour.
Peut-être même un soir qu'elle rêvait d'amour,
Oisive et lasse au fond de sa grande bergère,
Un jeune homme est venu qui d'une voix légère
Lui parla du bonheur du ciel et du printemps.
La belle, n'est-ce pas? l'écouta trop longtemps
Et te laissa tomber, puis rentrant dans sa chambre,
Que remplissait un doux et dubtil parfum d'ambre,
Elle resta muette en face du miroir.
O petite clef d'or, ne crois-tu pas la voir
Pencher sa taille frêle à la svelte cambrure
Lorsqu'elle t'entendit grincer dans la serrure?
Chants d'Aurore, 1886.