La mort
La mort
Je ne sais pas pourquoi mon coeur si plein d'aurore
Veut dans la mort chercher les secrets qu'il ignore,
Pourquoi mes yeux levés sur l'avenir si beau
Sollicitent la nuit sans aube du tombeau.
Est-ce pour étouffer les angoisses du doute?
Est-ce pour affronter le néant qu'on redoute?
Est-ce pour m'endormir, moi qui n'ai point sommeil?
Ou pour voir si là-bas il n'est pas de soleil
Qui réveille les morts endormis côte à côte,
Ou si, lorsque tes pas fouleront l'herbe haute,
Je ne sentirai point , par un écho vainqueur,
Friissonner le silence éternel de mon coeur?
L'idéal m'a rempli l'âme de nostalgie.
N'est-ce pas que j'aurais là-bas, loin de la vie,
Le charme inconscient de ne plus rien vouloir,
Que je perdrais enfin la fièvre de l'espoir?
Crois-moi, si par un soir tendre comme une opale,
Tu me voyais, ami, plus sereine et plus pâle,
Dormir paisiblement mon suprême sommeil,
Ne me plains pas d'avoir ainsi, loin du soleil,
Ouvert mes yeux lassés sur l'ombre qui repose,
Mais songe à cette douce et lente apothéose
De notre amour humain embelli par la mort,
Car l'amour dans la tombe est un rêve qui dort.
Chants d'Aurore, 1886.