Avenir
Avenir
Les poètes futurs, bien plus heureux que nous,
Verront l'humanité pieuse à deux genoux
Bénir dans leurs chansons avec joie écoutées,
Le doux accouplement des rimes veloutées.
Leurs ailes s'ouvriront brillantes au grand jour,
La foule sur leurs pas portée avec amour
Couronnera leurs fronts de lauriers et de roses,
Leurs vers retentiront dans leurs apothéoses!
Mais je ne vivrai pas dans ces âges lointains
Dont nos temps orageux ne sont que les matins,
Et pour précipiter mon voyage au but sombre,
Déjà quelque embryon qui s'ébauche dans l'ombre,
Paupière impatiente avide du réveil,
Songe à me déloger de ma place au soleil.
Il doit, (le monde est fait de ces tristes échanges),
Chercher dans mon linceul à se tailler des langes.
Comme on entend de loin, d'abord soupir confus,
Grossir bientôt la voix menaçante du flux,
J'entends, sans redouter son croissant voisinage,
Le grand flux de la mort qui monte vers la plage.
O Muse souriante, à d'autres tes baisers,
Tes doigts d'or, sur mon luth un seul instant posés,
Pour d'autres frémiront dans les nuits extatiques,
Lorsque j'irai dormir sur la foi des cantiques,
En rêvant que les jours seront bien tard venus
D'une immortalité sous des cieux inconnus?
Chants d'Aurore, 1886.