Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Cette nuit...

Cette nuit...

 

Cette nuit, les jasmins sont amoureux et ivres;

L'air porte et mouille au loin leur musique d'odeurs,

Et je n'ai pas de lampe et je n'ai pas de livres,

Et je dois rester seule en face de mon coeur.

 

Il fait noir dans la chambre et noire dans mes pensées.

Avant de boire, amour, votre vif élixir,

Je ne haïssais pas les senteurs oppressés

Et J'écoutais l'air sourdre et les parfums s'unir.

 

 

Quand j'avais mon enfance agile et débordante

Qui s'asseyait dès l'ombre au blanc de l'oreiller,

J'étais la soeur du souffle et du bruit vert des plantes,

Et leurs rythmes heureux savaient seuls me plier.

 

Dans l'odeur du feuillage où je mettais ma chaise,

Je trouvais je ne sais quel tiède et mol oubli;

Au temps du rossignol, du trèfle et de la fraise,

La lune se jetait au travers de mon lit.

 

Elle disait: "Je vois les eaux, je vois la plaine,

Les arbres lourds tordus par le poids de leurs fruits;

Tu les tiendras un jour; tes deux mains seront pleines

Comme après mon départ le bleu des beaux minuits."

 

Moi, je me redressais: "O lune, parle encore!

Il me faut tout des lacs, des bois et des jardins;

Il me faut nuit et jour la voix du sycomore,

La forme sur le vent des roses et des pins.

 

Il me faut que tout danse et flambe dans l'espace,

Et beaucoup de tristesse autour des soirs brûlés;

De l'herbe et du soleil pour y baigner ma face,

Et ce que l'aube verse aux lèvres d'or des blés.

 

"Ah! que vois-tu venir vers moi? Je suis avide;

Il me faut le reflet des feuilles sur mes bras,

Des odeurs dont le feu s'abîme et se débride

Et des jeux plus légers que l'eau. - Tu les auras!"

 

- Et tu n'as pas menti, ma lune heureuse et folle,

Toi qui ne reviens plus, ô ma lune d'alors;

Je tiens tout ce qui berce et tout ce qui désole,

Un grand désir habite au sommeil que je dors.

 

J'ai passé dans les parcs ténébreux de verdures,

La fierté des couchants enorgueillit mes soirs,

J'ai couru les ravins aux belles déchirures,

J'ai vénéré la force et les l'éclat des pressoirs.

 

La terre avec sa joie audacieuse est mienne;

Je comprends le secret des saisons et leur mort.

Nulle heure ne se lève à qui je n'appartienne

Pour y mêler mes cris, mes rêves et mon corps.

 

Pourquoi me cachais-tu, ma lune aventureuse,

Que tout cela qui fut mon voeu trop fort n'est rien?

Pourquoi n'avoir point dit: " L'aulne et la tubéreuse

Ne te feront un jour ni du mal ni du bien?

 

"Tu marcheras le long des sources sans les plaindre

Si leur faible soupir périt dans l'âpre mer;

Les fruits divins auxquels il est si doux d'atteindre,

Tu les écraseras vite et d'un pied amer.

 

"Tu ne sauras plus voir se dresser les platanes,

L'arc fluet des coteaux ne tendra plus tes yeux;

Sous la nuée en fleur aux vagues filigranes,

Le monde te sera très égal et très vieux.

 

"A cause d'un éclair, à cause d'un visage,

A cause d'un seul doigt rencontré par hasard;

Que te feront le vent, la feuillée et l'orage,

Qui n'ont pas de brûlure et n'ont pas de regard?

 

"Tu mourras de tuer la musique qui rôde,

Aux baisers des jasmins troublants comme des voix,

A cause d'un visage au fond des nuits trop chaudes,

Quand il fait noir dans ta demeure et noir en toi."

 

 

Le jardin passionné, 1908

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



24/11/2012
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