Détachement
Détachement
Je n'ai jamais passé près de toi sans me dire
Qu'à tes côtés mon coeur battrait plus librement;
Pourtant je n'ai voulu qu'entrevoir ton sourire
Comme à travers la nue un coin du firmament.
Je sais que tu pourrais envahir tout mon être
Par la grâce furtive et chaste du baiser;
Mais je te vois partir, ainsi qu'à sa fenêtre
On ne voit qu'un instant l'oisillon se poser.
Tes yeux ne m'ont jamais versé leurs feux d'étoile
Sans que leur profondeur cherchât à m'attiser;
Mais je fuis ton regard, ainsi qu'on pose un voile
Sur la face des morts et pour les mieux pleurer.
Je ne t'aimerai pas, car mon coeur est trop sage
Pour chercher de l'amour la douceur et l'effroi;
Mais je t'aurai connu, comme on goûte au passage
Le parfum d'une fleur dans le jardin d'un roi.
Chants d'Aurore, 1886