Je pleurais
Je pleurais...
Je pleurais dans le soir — les oiseaux de passage
Passaient très haut sur moi.
Ma robe balançait sa grâce de nuage
Contre le cyprès droit.
Les grands oiseaux qui vont rayer l'Egypte rose
De leur beau vol égal
Et dans l'aube envahir le palais de la Rose
Aux portes de santal.
Le grand oiseau fluet, pesant et symbolique,
Tout d'ébène et d'argent,
La cigogne, partait pour la très chaude Afrique
Qui rêve immensément.
Je pleurais — le cyprès, la cigogne en partance
Ma robe au jeu léger.
Et ce bruit fin que fait dans l'âme le silence
Des nuits près de tomber.
Tout me semblait plus fort, plus doux qu'un seuil de fête,
Plus divers que le jour.
Je ne sais quoi venait qui me disait : sois prête !
Ce n'était point l'amour.
Ce n'était point la joie aiguë et parfumée
Qui monte aux coeurs nouveaux
Ni le désir pressant, la rage d'être aimés
Dans un bruit de rameaux,
D'être unis à la terre, au vent, au cri des roses
Par un cri double et vif ;
Tu le sais, ce n'était aucune de ces choses,
Cyprès frère de l'if.
Ce n'était point l'orgueil de voir ma robe frêle
Rester blanche au parc noir
Et les astres trouer le ciel comme l'eau grêle
D'un divin arrosoir.
Je ne sais quoi venait, sans voix et sans visage,
Qui disait sans soupir !
Déchire-toi! jouis! vibre, exulte et ravage!
Va vivre et va meurtrir !
Anthologie critique des poètes,1911, p. 178 (Gallica)