Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Jeanne la folle

Jeanne la folle

 

Chronique castillane

 

A ma soeur

 

Sur son lit de parade, en grands habits de fête,

Le roi Philippe est beau comme aux jours des combats,

Il a le sceptre, il a le bandeau d'or en tête:

Près de lui, l'on chuchote et l'on pleure tout bas.

 

Or, voici que du fond de la salle, une femme

Derrière elle traînant sa robe à larges plis,

S'avance et se prosterne à genoux, sous la flamme

Des cierges que déjà le jour blême a pâlis!

 

"Ceux qui te voient dormir sur ta couche royale

Savent bien mal t'aimer, Monseigneur, et comment

M'a-t-on pu dire à moi, ton épouse loyale,

Que la mort te tenait dans son embrassement?

 

Quel est donc l'insolent, quel est le serf, le traître

Qui m'est venu conter ce mensonge hideux?

N'est-ce pas cher époux, n'est-ce pas, mon doux maître,

Que nous allons bientôt le confondre à nous deux?

 

Quel est cet appareil solennel et farouche,

Pourquoi ce sombre deuil, pourquoi ces pleurs cuisants

Et l'ombre des drapeaux alternant sur ta couche

Avec le fauve éclat des chandeliers pesants?

 

Un étrange silence emplit notre demeure,

Toi-même tu parais triste dans ton sommeil.

Tu verra, nous serons si joyeux tout à l'heure,

Déjà sur l'horizon se montre le soleil.

 

Réveillez-vous, seigneur, réveille-toi, chère âme,

Ton faucon à l'oeil jaune agite ses grelots,

Sur le fleuve doré la brume met sa trame,

N'es-tu pas las, d'ailleurs, d'entendre ces sanglots?

 

Ils pleurent comme si la Mort, ta pâle esclave,

Rebelle, avait osé t'atteindre, et comme si

Ele pouvait toucher ton front joyeux qui brave

Et les ans et la guerre et le sombre souci.

 

Voici ton casque d'or, ô roi, voici ton glaive,

Lève pour le saisir ton bras appesanti,

Tu vas te réveiller, tout cela n'est qu'un rêve,

O Philippe, dis-moi que ces gens ont menti!"

 

Et soulevant le mort de sa main frêle et froide,

Elle continua son délire hautain,

Mais le roi, lourdement laissa sa tête roide

Retomber et creuser l'oreiller de satin.

 

Chants d'Aurore, 1886



17/10/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour