La lettre où j'ai donné ma vie...
La lettre où j'ai donné ma vie...
La lettre où j'ai donné ma vie
Dort close aux pierres d'un grand mur.
L'avril et l'orage en folie
Ne troublent pa son tombeau sûr.
C'est une morte âprement chaude;
Elle a fait peur, il a fallu,
Et dans la détresse et par fraude,
Murer son coeur, son souffle aigu.
Il a fallu mettre des pierres
Autour du sang qui la remplit,
Et que l'odeur des sapinières
Ne vienne pas jusqu'à son lit.
Doigts qui savez comment on brise
Et comment on déchire, ô doigts
Qui touchez sans deuil ni surprise
L'air vide des anciennes voix.
Doigts pour qui l'azur et la cendre
Sont un même et futile jeu,
Ah! vous auriez mieux fait d'étendre
Sa flamme en un linceul de feu.
Les pierres s'écrasent sur elle,
Et tous les jours vont lui disant:
"Celui que ton désir appelle
D'un étenel soulèvement;
"Celui qui, sous les sapinières,
Pressait ton sein passionné,
N'ose point déranger les pierres
Du tombeau sûr qu'il t'a donné."
Le jardin passionné, 1908.