Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Le premier jour

Le premier jour

 

Par les tombeaux fleuris et par les tombeaux nus

          Que le vent frappe et serre,

Je songe au premier jour où vous êtes venus

          Habiter dans la terre.

 

Vous, les durs habitants de la cité sans toits

          Et sans demeures hautes,

Le lamentable pain qu'on gagne dans le froid,

          Dans l'ombre et dans la faute;

 

Le pain du labeur et le pain du plaisir

          Ne goûtent plus vos bouches.

Je songe au premier jour qui vous a vus venir

          Vers le noir de vos couches

 

Alors que surprenante et pour chacun de vous

          La mort était nouvelle;

Quand sa jeunesse avide appuyait vos genoux

          A sa lèvre éternelle;

 

Quand vous teniez encore au froid blanc de vos mains

          Tout le sang de la vie;

Alors que vous étiez les calmes lendemains

          De l'ardente agonie,

 

Et qu'on cherchait encore au froid blanc de vos doigts

          La forme de leurs gestes;

Qu'on vous didait: "Tu dois nous entendre, tu dois

          Répondre que tu restes,

 

"Tu doix pouvoir toujours te mêler comme hier

          A la douceur du monde.

Oh! non, tu n'étais pas si distant et si fier

          Dans ta chambre profonde,

 

"La chambre où tu parlais, avec tant de langueur,

          Des choses bien-aimées

Qui jetaient en passant au-dessus de ton coeur

          Leurs divines fumées."

 

Les morts, je songe aux jours où vous ne saviez pas,

          Au début de l'exode,

Que l'on n'a pas besoin de baisers et de bras

          Pour dormir vos nuits chaudes;

 

Que l'on n'a pas besoin d'automne pour savoir

          Que tout sombre en soi-même,

Le jour où vous faisiez l'apprentissage noir

          Dans la ténèbre extrême,

 

Quand tout en vous gardait l'empreinte et la coutume

          Des jeux qui nhous sont chers,

Quand vos sueurs sentaient l'âpre et belle amertume

          Des larmes et des mers;

 

Quand vos cheveux mordus de brûlures humaines

          Tardaient à se ternir;

Quand le ciel regardait le bleu pur de vos veines,

          Tel un rameau verdir,

 

Et qu'on versait sur vous avant l'heure où tout tombe

          Le feu de vos passés,

Comme sur ce jour-là, tous les jours de la tombe

          Se sont mis et tassés.

 

 

Le jardin passionné, 1908



06/12/2012
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