Le premier jour
Le premier jour
Par les tombeaux fleuris et par les tombeaux nus
Que le vent frappe et serre,
Je songe au premier jour où vous êtes venus
Habiter dans la terre.
Vous, les durs habitants de la cité sans toits
Et sans demeures hautes,
Le lamentable pain qu'on gagne dans le froid,
Dans l'ombre et dans la faute;
Le pain du labeur et le pain du plaisir
Ne goûtent plus vos bouches.
Je songe au premier jour qui vous a vus venir
Vers le noir de vos couches
Alors que surprenante et pour chacun de vous
La mort était nouvelle;
Quand sa jeunesse avide appuyait vos genoux
A sa lèvre éternelle;
Quand vous teniez encore au froid blanc de vos mains
Tout le sang de la vie;
Alors que vous étiez les calmes lendemains
De l'ardente agonie,
Et qu'on cherchait encore au froid blanc de vos doigts
La forme de leurs gestes;
Qu'on vous didait: "Tu dois nous entendre, tu dois
Répondre que tu restes,
"Tu doix pouvoir toujours te mêler comme hier
A la douceur du monde.
Oh! non, tu n'étais pas si distant et si fier
Dans ta chambre profonde,
"La chambre où tu parlais, avec tant de langueur,
Des choses bien-aimées
Qui jetaient en passant au-dessus de ton coeur
Leurs divines fumées."
Les morts, je songe aux jours où vous ne saviez pas,
Au début de l'exode,
Que l'on n'a pas besoin de baisers et de bras
Pour dormir vos nuits chaudes;
Que l'on n'a pas besoin d'automne pour savoir
Que tout sombre en soi-même,
Le jour où vous faisiez l'apprentissage noir
Dans la ténèbre extrême,
Quand tout en vous gardait l'empreinte et la coutume
Des jeux qui nhous sont chers,
Quand vos sueurs sentaient l'âpre et belle amertume
Des larmes et des mers;
Quand vos cheveux mordus de brûlures humaines
Tardaient à se ternir;
Quand le ciel regardait le bleu pur de vos veines,
Tel un rameau verdir,
Et qu'on versait sur vous avant l'heure où tout tombe
Le feu de vos passés,
Comme sur ce jour-là, tous les jours de la tombe
Se sont mis et tassés.
Le jardin passionné, 1908