Le rêve de Marie
Le rêve de Marie
Jésus dit à Marie: "En dormant sur la mousse,
As-tu rêvé de moi, ma mère chaste et douce?" -
- Un songe épouvantable a visité mes yeux,
Seigneur, un jour blafard enveloppait les cieux,
Paul était à Damas et Pierre était à Rome,
Mais toi, le Bien-Aimé, mais toi, le Fils de l'homme,
Tu baissais lentement la tête, ô Roi des rois,
Et tes bras étaient nus cloués sur une croix,
Tandis que la sueur s'eperlait sur ta tempe.
Près du soleil mourant, comme une faible lampe,
La lune rougissait le ciel lugubrement,
Et sur toute la terre un morne ébranlement
Avait des noirs rochers agrandi la crevasse,
La foule te crachait un blasphème à la face
Et tu priais poue elle avec ton dernier cri:
A ton front blanc dressé sur le ciel assombri,
Des épines tremblaient, sinistre diadème.
Avant la fin du jour, Joseph et Nicodème
Entre leurs bras pieux prenant ton corps divin,
Que de mes pleurs ardents je réchauffais en vain,
L'enveloppaient des plis rigides du suaire,
Et tu voyais la Mort dans son noir sanctuaire,
ET sa main se posait sur tes membres raidis;
Mais, t'arrachant soudain à ces rêves maudits,
O mon fils, tu luttais corps à corps avec elle,
Et dans sa grande nuit, lugubre et solennelle,
Une aube rayonnante arrivait à ta voix
Et du tombeau muet, pour la première fois,
Les portiques d'airain s'ouvraient à la lumière.
Tandis que tu montais sur la nuée altière
Vers l'azur radieux où ton Père t'attend,
L'univers souriait de voir pâlir Satan."
Jésus dit à Marie: "O Vierge chaste et douce,
Le songe que tu vis en dormant sur la mousse
Bientôt va s'accomplir, car le Dieu le veut ainsi.
Ma mère je n'en ai ni terreur ni souci,
Et sur l'humanité chétive et pécheresse
Mon sang fera germer la divine promesse,
Et si je dois mourir pour vaincre le trépas,
Ceux qui croiront en moi, Femme, ne mourront pas!
Chants d'Aurore, 1886