Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Les ancêtres

Les ancêtres

 

Sous vos marbres, de loin pareils à des colombes,

Et que l'herbe des champs finit par envahir,

Ancêtres oubliés, dont s'écroulent les tombes,

Savez-vous combien j'ai le droit de vous haïr?

 

Le suaire est froissé de fantôme,

Après des jours troublés, calmes ou triomphants,

Vous dormez; le néant vous verse son grand baume;

Mais vos péchés sont tous punis sur vos enfants.

 

Puisque je dois subir cet injuste héritage,

Je veux savoir, ô vous qui ne répondez pas,

Quelle expiation ma pauvre âme partage,

Dans quel enfer je dois m'engouffrer sous vos pas.

 

Vos crimes, n'est-ce pas? furent grands, car ma vie

A bien peine à porter toute leur pesanteur,

Et déjà je suis lasse et je souffre et j'envie

Ceux qui peuvent goûter le printemps enchanteur .

 

Mais je ne songe pas à vous demander grâce,

Ce fardeau m'appartient, je le prends tout pour moi;

Il ne sera pas dit qu'un autre de ma race

Subisse par ma faute une implacable loi.

 

Que ma postérité bénisse ma poussière!

J'aurai, pour eux du moins, aplani le chemin.

Ils pourront chaque nuit, les yeux pleins de lumière,

Dormir avec l'espoir joyeux du lendemain.

 

Le sang pourra bondir libre et pur dans leurs veines,

Car le mien fut brûlé par le divin courroux;

Leur voix ne s'usera plus en prières vaines:

Je serai si longtemps demeurée à genoux.

 

Chants d'Aurore, 1886.



18/10/2012
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