Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Lune, chantez...

Lune, chantez...

 

O qui fera chanter la lune insoucieuse

        De la brume et du vent?

Tout à l'heure elle allait s'accouder à l'yeuse,

        Mais elle est cachée à présent.

 

Comme vous luttez bien, lune, contre vos voiles,

        Bien fragiles pourtant,

Puisque alentour le flot des obscures étoiles

        Déferle en hésitant.

 

Déjà votre regard rompt la trame et s'élance

        Hors du brouillard ténu.

Lune, votre silence est le plus long silence

        Que la terre ait jamais connu.

 

Vous jetez dans la source et parmi le feuillage

        Du silence à pleins bords,

Et c'est vous qui versez sur nous, triste breuvage,

        Tout le mutisme de nos morts.

 

Dans les halos légers qui sont vos auréoles,

       Où l'azur écume et se tord,

Si tout à coup, un soir, vous aviez des paroles,

       Lune, que diriez-vous d'abord?

 

O quel serait le mot rêvé depuis des âges

       Par vos lèvres sans voix,

Que vous promèneriez des gouffres aux rivages,

       Des plaines de la mer aux bois?

 

De quel verbe unanime emploieriez-vous la grâce

      Pour nous transmettre tous les voeux

Que depuis le chaos de l'humanité tenace

      Murmure à l'homme aventureux?

 

Parles-nous, parlez-nous, musique taciturne,

      Blanc concerto d'albâtre et d'or.

Soupirez jusqu'à nous le soupir de vos urnes,

      Donnez en un cri tout l'accord.

 

Donnez pour le désir des astres et des âmes

      Qui vont roulant vers vous,

Pour ce qui se désole, et qui prie et s'enflamme,

      Lèvres, parfums, genoux.

 

Donnez le long soupir, lune, des tombes toutes!

      Et vous ne serez plus

Celle qui fait pleurer les âmes et les doutes

      Sur tous les secrets qu'elle a tus.

 

Le jardin passionné, 1908.



27/11/2012
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