Lune, chantez...
Lune, chantez...
O qui fera chanter la lune insoucieuse
De la brume et du vent?
Tout à l'heure elle allait s'accouder à l'yeuse,
Mais elle est cachée à présent.
Comme vous luttez bien, lune, contre vos voiles,
Bien fragiles pourtant,
Puisque alentour le flot des obscures étoiles
Déferle en hésitant.
Déjà votre regard rompt la trame et s'élance
Hors du brouillard ténu.
Lune, votre silence est le plus long silence
Que la terre ait jamais connu.
Vous jetez dans la source et parmi le feuillage
Du silence à pleins bords,
Et c'est vous qui versez sur nous, triste breuvage,
Tout le mutisme de nos morts.
Dans les halos légers qui sont vos auréoles,
Où l'azur écume et se tord,
Si tout à coup, un soir, vous aviez des paroles,
Lune, que diriez-vous d'abord?
O quel serait le mot rêvé depuis des âges
Par vos lèvres sans voix,
Que vous promèneriez des gouffres aux rivages,
Des plaines de la mer aux bois?
De quel verbe unanime emploieriez-vous la grâce
Pour nous transmettre tous les voeux
Que depuis le chaos de l'humanité tenace
Murmure à l'homme aventureux?
Parles-nous, parlez-nous, musique taciturne,
Blanc concerto d'albâtre et d'or.
Soupirez jusqu'à nous le soupir de vos urnes,
Donnez en un cri tout l'accord.
Donnez pour le désir des astres et des âmes
Qui vont roulant vers vous,
Pour ce qui se désole, et qui prie et s'enflamme,
Lèvres, parfums, genoux.
Donnez le long soupir, lune, des tombes toutes!
Et vous ne serez plus
Celle qui fait pleurer les âmes et les doutes
Sur tous les secrets qu'elle a tus.
Le jardin passionné, 1908.