Hélène Vacaresco

Hélène Vacaresco

Mon pays

Mon pays 

Oui, j'ai su dès les jours de l'enfance vivace
La liberté naïve et la limpide audace,

Et, pressant l'avenir sur mon cœur indompté,
J'ai marché dans ma force et dans ma liberté.

J'ai balancé mon rêve ainsi qu'un feu de cierge
Dans la lumière en fleur où l'Orient émerge,

Et j'entendais au bruit de mon vœu dévorant
Ma race qui chantait en moi comme un torrent.

Libre et rude ouragan, j'écoutais par mes veines
Se ruer des héros et se traîner des reines.

Et parmi les ardeurs des rapides combats
Dans les barbares jeux des aïeux au front bas,

Se glisser, serpent d'or, la Byzance asservie,
Et toi, voluptueuse et tendre Moldavie.

On m'enseignait à vivre avec les bras ouverts
Pour y recevoir Dieu, l'amour et l'univers...

Devant l'iconostase argenté de veilleuses,
Ma mère me contait des choses fabuleuses...

Vous êtes étendus sur toute ma mémoire.
Fleuves des longs maïs, océan des grands blés
Qui célébrez, tout blonds contre la terre noire,
La fête des soleils dont vous êtes comblés...

O que j'aime chanter ce pays qui m'accable.
Par sa force trop chaude et triste, je me sens
Toute pareille à lui, sauvage, inépuisable,
Qui vibre dans l'automne et n'a pas de printemps.

Ainsi que ses vallons houleux j'ai mûri vite;
J'ai des douleurs sans nom ivres de leur beauté ;
Je suis le fleuve lourd qui déchire et s'irrite,
Et pour briser ma course il suffit de l'été.
 
O largeur de la plaine, ô jeu léger de l'herbe,
Evanouissement du jour et de la nuit,
Foule en fleurs des forêts qui, peureuse ou superbe.
Te troubles tour à tour de silence et de bruit!...

Or des lointains laiteux meurtris par la lumière.
Arbres fins qui laissez voir la campagne au loin
Pour qu'en sa nudité nous apparaisse entière
La grâce de la terre accomplie avec soin,

Tendresse et pâmoison des soirs asiatiques,
Formes contre l'air vif des grands chars et des puits.
Arbres qui soulevez vos suaves tuniques
Pour franchir les ruisseaux que leur pente conduit,

Vieux cloîtres byzantins tapis au fond des gorges.
Murs de neigé aux toits noirs, pâtres aux fiers profils.
Vierges qui traversez le flot mouvant des orges
Et tendez au soleil l'arc brun de vos sourcils,

Déroulement splendide et doux du vert espace,
Légendes qu'on raconte en tournant le fuseau.
Récits, voile argenté d'une femme qui passe
Et met son pied rythmique, et nu sur le coteau;
 
Vous toutes, les sept voix des syrinx susurrantes,
Et vous, subtilités des flûtes dans les soirs,
Danses des bergers blancs, cris longs, pâles attentes
Des amoureux au bord des puits et des pressoirs ;

Vous m'avez fait une âme avec tous vos vertiges,
Avec Votre beauté qui souffre et qui s'épand.
Et je m'élance au jet chaleureux de vos tiges,
Car vous brûlez en moi bien plus fort que mon sang.

O terre de douleur, de force et d'insistance
Où l'hiver et l'été sont tueurs tous les deux.
C'est en vous que je plonge et que je me dépense.
Et je me brise aux bras de vos zéphirs nerveux.

C'est vous qui me donnez l'orgueil d'être hardie.
"Vous versez à travers mes tempes et mon pouls
Vos soirs sur le Danube et vos soirs d'Olténie.
Je ne suis plus moi-même, ô terre, je suis vous.
 



11/09/2012
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