Moyen-Age
Moyen-Age
A Miss Allan
Ah! que ne suis au temps des grands faits d'armes,
Au temps où le soldat mourait sous son coursier,
Où le soleil brillant dans les vals pleins d'alarmes
Etincelait joyeux sur les casques d'acier!
J'aurais peut-être été la blonde châtelaine:
Au fond d'un vieux manoir, j'aurais hanté la tour
De créneaux hérissés et haute à perdre haleine
D'où l'on voit à ses pieds le pays d'alentour.
J'aurais aimé, bien mieux qu'en ce siècle vulgaire,
Quelque fier chevalier vainqueur dans les tournois,
Quelque seigneur n'ayant d'autre jeu que la guerre,
Turbulent et naïf, belliqueux et courtois.
Que le tocsin vibrant sonne au jour de mes noces,
Que mon époux parti, pour braver les Teutons,
Me berce à son retour par des récits atroces,
Calme, j'enfanterai de mâles rejetons.
Et là-bas dans l'église où, tout pleins de murmures,
Sont les drapeaux gagnés aux combats d'outre-mer,
Là-bas où les aïeux dorment dans leurs armures,
Où la Vierge sourit sur le vitrage clair,
Où, ceints du baudrier et l'épée à la hanche,
Reposent tant de preux tous morts dans les assauts,
Au jour de la victoire, avec ma robe blanche
Traînant dans son sillage un peuple de vasseaux
Qui, sous leurs pas pesants, font tressaillir les pierres,
Alors que tout s'emplit d'un calme harmonieux,
J'écouterai, pieuse, en fermant les paupières,
Monter vers le ciel pur un "Te Deum" joyeux!
Chants d'Aurore, 1886.