Valses d'été
Valses d'été
Le crépuscule est mort où l'ombre accourt si vite,
Les tiges et les coeurs se pressent tout ployés,
Une valse qui roule et dévore et s'irrite
Vient mourir de faiblesse et de force à mes pieds.
O vous qui dans le soir tournez ronde et cruelle
Sur les senteurs, sur les rêves et sur les cris,
Et que les violons et les violoncelles
Portent tout enflammés au fond des sens meurtris;
Vous valsez sans pitié, chaude et triste chanteuse,
Qui jouez à travers jardin, rue et jet d'eau,
Soeur de la lune et soeur en feu des tubéreuses,
Comme vous nous troublez, ô soeur des soirs trop beaux!
Que tenez-vous au clair de vos longs bras rythmiques
Qui ne fasse éclater de la folie en nous?
Musique où bat le sang de toutes les musiques,
O valses de nos soirs passionnants et mous,
Tout ardente des fleurs du tilleul et des fièvres
Que verse au loin l'acacia,
Un soir que vous viendriez presser l'âme et les lèvres,
O valse de nos soirs, je ne serai plus là.
Je ne serai plus là, car je serai pareille
A ceux dont vous guidiez les pas et les soupirs,
Et qui ne gardent plus au froid de leurs oreilles
Le flot aigu de vos plaisirs.
Je ne serai plus là, sur la terrasse pâle,
A vous entendre unir, folle des nuits sans air,
La joie où le regret se dilate et s'exhale
Au songe ceint d'azur, de velours et de fer...
Un soir où vous viendriez heurter la pierre grise
De votre violence et de vos voluptés,
Je ne serai plus là! car l'ombre m'aura prise
Qui reprend l'ombre et les clartés.
Et vous vous glisserez au deuil de ma paresse,
Mais sans m'ouvrir les dents, les mains et les genoux,
Puisque je braverai ce pouvoir de tristess
Que vous avez sur nous...
Bien à l'abri des coeurs qui parlent sur les routes,
Je serai loin de vous, valse des soirs meurtris,
Quand je ne pourrai plus crier aux tombes toutes:
Ah!... que faites-vous donc pour n'avoir pas de cris?"
Le jardin passionné, 1908